Interview sur Radio Metal:
SORTILÈGE BRISÉ, SORTILÈGE RELANCÉmercredi, 29 septembre 2021 à 20:15 par Philippe Sliwa
Il faudra bien se faire une raison, le Sortilège de Métamorphose (1984) et Larmes de Héros (1986) n’est plus. La formation d’origine a bien tenté de relancer la machine en 2019 mais, à l’inverse des voisins allemands de Helloween, les vieilles dissensions sont vites réapparues et ont tout fait capoter. Christian « Zouille » Augustin, poussé par l’amour de son public, n’allait pas remettre le nom de Sortilège au placard et doucher les espoirs des fans qui avaient attendu trente-cinq ans ce retour. Une nouvelle ère commence pour Sortilège, avec un line-up alliant vétérans de la scène des années 80 et jeunes recrues garantissant un cachet « moderne ».
C’est d’ailleurs là tout l’objectif de Phoenix, un nouvel album de transition remettant au goût du jour douze classiques tout en offrant un premier aperçu de ce que le prochain album, Apocalypso, nous réserve avec deux nouvelles compositions. Zouille et Olivier Spitzer, guitariste et producteur, font le point avec nous sur ce « nouveau » Sortilège et la réalisation de Phoenix, entre retour dans un passé plus ou moins lointain et perspectives d’avenir.
Radio Metal : Sortilège s’était reformé en 2019, avant à peine quelques mois plus tard de se séparer en deux formations, la tienne et celle de Didier Demajean. D’abord, quelles étaient les circonstances autour de cette reformation du groupe d’origine ?Christian « Zouille » Augustin (chant) : Au départ, il s’est passé qu’il y a eu un groupe tribute de Sortilège, qui a repris nos chansons et a fait quelques petites dates. Pour Le Petit Bain, à Paris, on m’a demandé de venir en surprise interpréter quelques chansons là-bas. Je suis venu et à ma grande surprise, j’ai été accueilli comme le pape [rires]. Il y a eu beaucoup de fans qui étaient en amour avec moi. Il s’était passé une espèce de fusion incroyable. A la suite de ça, un membre d’une maison de disques – qui sera notre maison de disques plus tard – qui était présent nous a dit : « Les gars, il faut absolument que vous remettiez le couvert. Ce que vous faites est fabuleux. Regardez comme les fans sont heureux de vous voir. Il faut absolument que nous fassions un truc ensemble. » Ça a démarré comme ça. Après quelques discussions, nous avons pu trouver un terrain d’entente pour nous reformer et, surtout, pour refaire un album – celui qui est sorti, Phoenix – contenant douze anciennes chansons et deux nouvelles. C’est parti comme ça, alors qu’au départ, j’étais à dix mille kilomètres de tout ça, car j’avais complètement arrêté, je faisais du gospel, j’étais complètement en dehors du mouvement metal français. J’en ai été le premier surpris, mais il y a eu un tel engouement du public et des fans que je me suis dit que nous allions nous faire plaisir et leur faire plaisir, j’espère, en remettant le couvert.
Il y a déjà dix ou quinze ans il y avait une attente autour de ton retour, mais on voyait bien que ce n’était pas d’actualité, tu n’étais pas du tout disposé à revenir. Enfin, on t’avait fait revenir sur de petits événements à droite à gauche, en featuring avec Manigance sur un morceau par exemple, mais c’était à chaque fois sur des moments très courts. Forcément à chaque fois ça créait un peu l’attente et à chaque fois, tu étais assez clair sur le fait que tu ne voulais pas revenir…Effectivement, j’étais déterminé à ne plus le faire. Entre-temps, il y a quand même eu l’épisode Zouille/Hantson, avec Renaud Hantson. Ça fait un peu plus de dix ans maintenant. Ça a commencé à me mettre le pied à l’étrier. Après ce projet, Renaud voulait que nous continuions à faire des trucs, que nous refassions le Hellfest, etc. Je lui ai dit non, que j’étais loin de tout ça. J’étais dans une période de ma vie où j’étais en plein travail personnel et je n’avais pas envie de me retrouver dans le milieu du showbiz, etc. Quelques années après, j’ai fait un peu de nettoyage dans mon cerveau et je me suis dit pourquoi pas. Il y avait un tel amour du public que ça transporte. C’est ce qui a fait pencher la balance.
Ensuite, qu’est-ce qui a provoqué la scission ?Quand un couple ne s’entendait pas il y a trente-cinq ou quarante ans, et qu’ils essayaient de se remettre ensemble après, et que tu voyais que les gens n’avaient pas changé, ça ne fonctionnait pas. Si ça ne fonctionnait pas il y a trente-cinq ans, ça peut difficilement fonctionner après. Sortilège était un vieux couple qui ne s’entendait pas et plutôt que de rester pour faire plaisir aux enfants, nous avons préféré lâcher l’histoire et partir chacun de son côté. Ce sont des gens qui étaient déjà comme ça il y a une trentaine d’années, et les gens ne changent pas s’ils ne veulent pas changer. S’ils ne font pas un travail sur eux-mêmes, ils garderont toujours cet aspect un petit peu brut de décoffrage qu’ils avaient. Malgré tout, je pensais que… Il faut quand même avouer que nous avons vécu un conte de fées après cette reformation : nous avons tout suite eu une maison de disques, un producteur financier qui voulait nous aider, nous avions vraiment tout ce qu’il fallait pour réussir, nous avions plein de concerts, plein de trucs, nous avons fait le 70 000 Tons Of Metal, etc. Je pensais que forts de cela, nous aurions pu continuer dans de bonnes conditions. Malheureusement, le naturel revient vite au galop et le caractère de l’un, l’égo de l’autre ont fait que c’était comme avant. Je ne peux pas vivre une vie en concert et en tournée avec des gens avec qui je ne m’entends plus, ça ne peut pas le faire.
On a l’impression que tu vois cette scission un peu de la même manière que la séparation de Sortilège en 1986…Oui, c’est tout à fait ça. En plus, en 1986 c’était une période où ça ne fonctionnait pas bien, donc il fallait que je travaille, je ne pouvais pas vivre de la musique. Il a fallu que je fasse un choix et que je lâche la musique pour pouvoir nourrir ma famille, au-delà du côté individuel et humain de la chose. C’est vrai qu’à l’époque, ce n’était pas top, surtout à la fin. Je ne regrette rien. Je fais partie des gens qui ont cette philosophie : le passé, c’est le passé, l’avenir n’est pas encore là, alors vivons le présent.
Depuis 2019, la batterie est successivement passée par Bob Snake, François Brisk, Farid Medjane pour que finalement le poste revienne à Clément Rouxel. Comment expliquer cette valse des batteurs ?C’est très simple. Il y a eu un petit souci avec le premier batteur, Bob, donc nous nous sommes séparés de lui. Un nouveau est entré, François, qui était vraiment très bon mais il est arrivé dans une période où ça n’allait pas bien entre les membres de Sortilège. Il a donc malheureusement été pris en otage là-dedans et il ne se sentait pas très bien dans un groupe où les membres n’étaient pas en phase les uns avec les autres, il fallait gérer les égos, etc. Ce qui deviendra l’autre partie de Sortilège a décidé de se séparer de François probablement pour réintégrer Bob, mais sans forcément demander mon avis. Bref, après l’épisode François Brisk, il y a eu notre ami Farid qui est resté quelque temps avec nous, mais nous nous sommes aperçus qu’en fait il avait certaines limites. C’était un super batteur de hard rock mais nous avions besoin d’un batteur un peu plus fin qui soit capable en plus de jouer de la double grosse caisse, or lui n’était pas du tout dans ce trip-là. Nous avons fait un essai en commençant à enregistrer l’album et nous nous sommes aperçus que malheureusement, ça ne le faisait pas, il n’était pas capable de jouer de la double. Nous avons donc préféré laisser tomber et choisir un autre batteur, Clément, qui est un spécialiste de la double grosse caisse.
Il y a aussi le cas de Daniel Lapp à la basse qui t’avait suivi après la scission avec Didier et qui finalement s’est désisté, laissant sa place à Sébastien Bonnet. Qu’est-ce qui a fait que Daniel s’est retiré ?Rien de particulier. Daniel est un garçon qui aime bien la nature et il avait l’opportunité de partir en Bretagne, de s’installer là-bas, donc il a choisi cette opportunité, chose que nous respectons. Le souci est qu’étant en Bretagne, c’était très compliqué pour lui de venir en répétition et de partir en tournée pendant trois semaines, ce qui va nous arriver bientôt. Il a donc préféré lâcher l’affaire et laisser la place à notre ami Sébastien.
Ce qu’on remarque, c’est que Sébastien et Clément sont tous deux des ex-membres de Zuul FX, un groupe de metal très moderne. Est-ce que Sortilège avait besoin de cette touche de modernité ?Je pense que Sortilège avait besoin de jeunesse [rires]. Nous avons été servis avec ces deux-là. Et oui, je pense qu’il faut moderniser le jeu de Sortilège. Ça se sent déjà quand tu écoutes l’album Phoenix et ça se sentira encore davantage sur le prochain album qui sortira en 2022. Tu verras, ça amène une fraîcheur, une puissance, une patate qui manquait un peu à Sortilège.
Quel est aujourd’hui le statut sur le plan légal par rapport au nom Sortilège ?Il y a donc eu une scission en deux. Il y a eu deux dépôts de nom à l’INPI. Il n’y a pas eu de jugement, mais comme apparemment les autres ne donnent plus signe de vie et ont splitté de leur côté, nous avons la légitimité, puisque nous avons le disque, les concerts et tout ce qui va avec. Eux n’ont absolument rien. Donc nous prenons le nom Sortilège. Nous ne nous servirons plus de la gargouille de la genèse, nous avons fait notre propre logo, donc maintenant nous continuons sur notre voie. Nous avons tourné la page avec eux.
Olivier, comment ça a été pour toi de rejoindre le groupe au milieu de tous ces remous ? Il n’y avait pas un côté un peu inconfortable au début ?Olivier Spitzer (guitare) : C’était totalement inconfortable parce que j’ai été prévenu une semaine avant de prendre le concert ! C’était très délicat pour moi techniquement. C’était délicat humainement aussi parce que Christian est un pote depuis vingt ans et j’appuyais énormément la reformation du groupe d’origine. Ça a été un déchirement les mois qui ont précédé l’éviction de Didier, avec tous les problèmes qu’a connus Christian à ce moment-là, car j’étais au courant de tout ce qui s’était passé. Tout ça a été très compliqué. Au moment où il y a eu effectivement une scission avec Didier, il m’a appelé pour faire le dépannage, qui était un dépannage sur le long terme. Ça m’a plu, de toute façon, mais c’était dommage, et en même temps, nous avons vite oublié parce que vu la complexité technique, il fallait vite se remettre dans le bain.
Qu’est-ce que Sortilège représentait pour toi avant que tu intègres le groupe ?Je faisais partie de la scène metal des années 80, donc je connaissais déjà bien le parcours de Sortilège à l’époque, car j’étais copain avec le guitariste soliste Séphane [Dumont]. Nous traînions ensemble dans les magasins musique à Pigalle pour essayer les guitares, etc. C’était déjà une petite scène dans laquelle les dix ou quinze groupes de la région parisienne s’entendaient relativement bien. Ça c’est jusqu’à 85-86. Après, ce qui s’est passé, c’est comme je le disais, j’étais complètement partie prenante de pousser Christian pour que ça se passe bien avec la réunion, parce que je trouvais ça magique, et au fur et à mesure des difficultés qui ont été rencontrées, ça s’est passé comme ça s’est passé. Et pour être très concret, j’ai appris à beaucoup respecter le répertoire en travaillant dessus. J’avais une image lointaine de la précision de la musique qu’il fallait faire. La qualité et l’écriture m’ont surpris. Je ne m’en rendais pas compte en tant qu’auditeur et au moment de la réalisation de l’album Phoenix, il a fallu rentrer dans tous ces détails, parce qu’il y avait de la qualité partout.
A la base, Phoenix, c’est la volonté de la maison de disques. Comment avez-vous pris cette idée quand elle a été proposée ?Zouille : Nous étions ravis ! A partir du moment où on nous aidait à faire quelque chose, à réenregistrer un album, nous étions absolument ravis. C’est vrai que dans l’absolu, nous aurions aimé faire tous les titres, parce que je vois à la lecture des commentaires des fans qu’ils auraient aimé avoir tel ou tel morceau qui n’est pas dans Phoenix. Ça aurait été super de faire un quadruple album, mais c’était un peu compliqué, parce qu’il faut savoir que nous avons été obligés de reprendre tous les morceaux un par un, de retravailler les morceaux, de les remettre d’équerre, de travailler chaque solo, chaque partie de batterie, etc. Ça a été un gros travail. Olivier pourra te parler de la difficulté que nous avons eue à réenregistrer tout ça, car c’est lui le producteur artistique du truc. Faire tous les morceaux, nous n’aurions pas pu. Donc effectivement, la maison de disques a eu raison de nous proposer de faire ces douze morceaux et quand même d’y ajouter deux nouveaux qui montrent ce que sera l’avenir de Sortilège, l’autre album qui sortira en 2022.
Olivier : C’était effectivement fastidieux car nous avons agi beaucoup en précision avec l’objectif de plaire d’abord à la maison de disques, le management, le tourneur, qui avaient déjà une attente de fans, et ça nous a permis de nous projeter sur ce qu’allait être l’attente des fans parmi le public. Nous avions toujours une épée de Damoclès au-dessus de la tête pour être sûrs que nous étions dans la bonne voie. Nous avons réussi, mais nous n’étions pas sûrs, nous n’étions pas complètement au clair. Nous sommes très contents de savoir que ça a plu et que c’était le bon chemin, car il y a un certain nombre de décisions qui ont été prises et elles ont été entérinées par le retour des fans.
Ne vouliez-vous pas sortir directement un album de chansons originales plutôt que de partir sur des réenregistrements d’anciens morceaux ?En fait, ça s’est fait le jour d’une rencontre avec Mehdi [El Jaï] de la maison de disques qui a écouté nos prémaquettes dont nous nous servions pour répéter – il a fallu maquetter pour répéter, dans la mesure où les morceaux n’étaient pas structurés comme il fallait pour pouvoir être cadrés correctement pour la scène. En écoutant ces prémaquettes, il a dit que ce serait une bonne idée de finaliser ces prémaquettes et d’en faire un album pour se faire un « buffer » entre l’ancien monde et le nouveau monde. Ça nous a donc aussi permis de nous resserrer entre nous et d’envisager la suite plus sereinement.
Le titre de l’album Phoenix est explicite : l’objectif était de donner une seconde jeunesse à de vieux morceaux de Sortilège. Vous avez commencé à l’évoquer, mais comment avez-vous travaillé ça et opéré les diverses « améliorations » ?Chaque morceau est une histoire. Il n’y a pas d’idée généraliste sur les morceaux. Nous avons passé notre temps à faire des allers-retours entre ce que nous étions en train de faire et ce qui était le passé, ce que nous voulions faire et ce que nous pouvions faire, car nous ne voulions pas trop nous écarter. Nous pesions chaque amélioration en nous demandant si c’était probant par rapport à l’attente des fans et au résultat escompté. Chaque morceau a été une difficulté parce qu’il y a la réalité de la musique et puis le fantasme que les gens en avaient depuis trente-cinq ans. Les oreilles des gens qui ont écouté il y a trente-cinq ans ont changé aussi, mais il y avait quand même l’aspect fantasme de ce qu’étaient les enregistrements à une époque. C’était très compliqué, parce que nous connaissons bien la discographie de Sortilège, et en même temps tout le monde trouvait les productions de l’époque « charmantes », donc il fallait faire un plus dans la production et garder le côté charmant. C’était toute la complexité.
Forcément, Christian, tu n’es plus exactement le même chanteur que tu étais il y a quarante ou trente-cinq ans, ta voix a évolué avec l’âge. Comment est-ce que ça a été d’essayer de te confronter à une plus jeune version de toi-même ?Zouille : Ça a été très difficile parce que tu penses bien que les capacités changent avec l’âge, malheureusement ou heureusement, je ne sais pas. J’ai gagné dans une forme de puissance, j’ai gagné dans un grain que je n’avais pas avant – avant j’avais une voix plus pure, presque infantile. Nous nous sommes adaptés. Nous avons fait comme font la plupart des groupes qui tournent depuis des années et qui refont les choses : nous avons descendu d’un demi-ton tous les chants, donc déjà c’est un peu plus confortable pour moi, et j’ai beaucoup travaillé ma voix pour arriver au niveau que j’ai aujourd’hui. J’ai pris quelques cours et, surtout, j’ai beaucoup répété, même tout seul, ce qui fait qu’aujourd’hui, tu as entendu le résultat, c’est quand même pas mal.
Quel est ton regard sur le jeune chanteur et artiste que tu étais dans les années 80 ?C’était la folie de l’époque avec tout ce que ça comporte, c’est-à-dire le fait de sauter dans tous les sens sur scène, d’être celui qui irait chercher la note la plus aiguë… C’était la course à ça, et c’est un peu fatigant maintenant. J’avoue que quand je réécoute les anciens albums, je me fatigue moi-même, je me dis : « Pourquoi tu es toujours en train de gueuler là-haut ? C’est chiant ! Calme-toi. » Ça correspond à une jeunesse ; quand on est jeune, on est tout fou, on cherche à montrer des choses. Maintenant, je n’ai plus rien à montrer, je m’en fous. Je chante comme je peux.
Cette seconde jeunesse dont bénéficient les morceaux concerne aussi forcément la production : comment compareriez-vous la réalisation d’un disque aujourd’hui et celle dans les années 80 ?Olivier : Comme je disais, j’ai fait partie de groupes dans les années 80 aussi, notamment un qui s’appelait Stators. Ça a été produit en 84 ou 85. Nous avions beaucoup travaillé sur la préproduction et nous avons sorti notre disque beaucoup trop tard. Tout ça pour dire qu’il faut quand même remettre les choses en place : il y avait de très bons groupes français qui produisaient des albums très bien réalisés, je pense notamment aux deux premiers disques de Warning ou le disque d’Océan où il y a « Aristo », qui sont très bien produits. On se rend bien compte qu’il n’y avait pas seulement des techniques mais aussi une préparation énorme du groupe. Ce n’était pas forcément le cas des groupes qui étaient sur de petits labels comme Sortilège ou autre qui allaient vite en studio. Je pense qu’on met trop en relief le fait que les « défauts de production » sont liés à la production. Pour moi, il y a un défaut de préparation des groupes parce qu’ils rentrent en studio de manière précipitée, ce qui n’est absolument pas le cas de Warning et d’Océan et c’est pour ça que leurs albums sont beaucoup mieux. Ce n’est pas seulement des techniques, c’est aussi un travail de groupe qui n’était pas forcément fait de manière aussi précise dans les groupes de la seconde vague par rapport aux groupes de la première vague. Ça n’enlève en rien à la qualité des morceaux et d’interprétation de Sortilège, mais il y a quand même un aspect de la production qui est fondamentalement lié à la mise en place des groupes, qui faisait un peu carence pour ces groupes de la seconde vague. Même si Warning et Océan ce n’est pas du metal, c’est du hard rock, c’est quand même bien mieux produit que les groupes de la seconde vague qui sont Vulcain, H-Bomb, Satan Jokers ou Sortilège, parce que les groupes ont beaucoup plus travaillé ou il y avait plus de moyens – il y a eu plus de moyens dans les productions de Warning et d’Océan qui ont été faites à l’époque. Il y a un mélange de moyens de production et de préparation plus poussée. Sachant cela, nous nous sommes mieux préparés, nous avons mis beaucoup de moyens pour réaliser cet album.
Vous reprenez douze titres, mais forcément, comme vous disiez, il y en a pas mal qui sont restés sur la touche. Sur quel critère avez-vous fait le choix des morceaux à reprendre ?
Zouille : C’est la maison de disques qui nous a presque imposé les titres que nous avions en réserve.
Olivier : Il y avait une setlist que nous avions, qui tournait avec quelques morceaux en plus qui n’ont pas été repris, du genre « La Hargne Des Tordus », « Amazone » ou « La Montagne Qui Saigne », nous étions aussi en préparation sur « Cyclope De L’étang » et « Métamorphose ». La maison de disques a écouté les maquettes et elle a tranché pour avoir un bon équilibre sur les trois albums. Nous n’avons pratiquement eu aucune marge de manœuvre, dans la mesure où il y avait la setlist avec les trois morceaux supplémentaires et il n’y a eu pratiquement aucun morceau qui a été rajouté pour cet enregistrement. Nous avons pris les douze qui sonnaient le mieux parmi les quinze qui tournaient en concert et nous les avons enregistrés.
L’album comprend deux nouveaux titres : « Phoenix » et « Toujours Plus Haut ». Ce sont les deux premiers nouveaux titres estampillés Sortilège en 35 ans. Est-ce des morceaux composés initialement pour l’album à venir et récupérés pour Phoenix ?Zouille : Oui, c’est le cas. Au départ, ils faisaient partie de l’autre album et notre maison de disques nous a demandé de choisir… Enfin, ils ont choisi deux titres assez puissants et assez forts de cet album, qu’ils ont intégrés à Phoenix.
Olivier : Et sans risque aussi. C’est-à-dire qu’il y a d’autres morceaux du prochain album qui sont un peu plus aventureux. Il ne fallait absolument pas mélanger de la nouveauté trop « nouvelle » par rapport à l’antériorité des anciens titres.
Dans quelle mesure ceux-ci annoncent-ils le nouvel album Apocalypso ?Zouille : Par la façon dont ils ont été écrits, la mélodie, le jeu… Car il faut avouer que maintenant, les guitaristes ne jouent pas comme ceux de l’ancien Sortilège. Ils ont leur propre façon de jouer. Donc à travers ces morceaux, ils commencent déjà à s’exprimer de manière individuelle. Ça ressemble à du Sortilège mais ce n’est pas du Sortilège. C’est joué par le nouveau Sortilège. Dedans il y a vraiment la patte d’Olivier et de Bruno [Ramos]. De même qu’il y a la patte de Clément et de Sébastien. Si tu veux, nous avons fait une transition assez douce pour ne pas choquer le public quand nous allons arriver avec le nouvel album.
On vous entend parler pas mal de la maison de disques : elle a l’air d’être assez directive. Est-ce en phase avec vos envies ou bien ça peut être difficile à vivre à certains moments ?Ce n’est quand même pas despotique à ce point. Il y a beaucoup de dialogue entre nous. Si tu veux, ils apportent des idées, qui sont au départ déjà bien cadrées et après nous en discutons. Mais la maison de disques nous dit : « De toute façon, c’est toujours vous qui avez le dernier mot, c’est vous les artistes. » Mais nous leur faisons confiance, ils ont un background, ils sont sérieux, ils travaillent bien. Nous n’allons pas nous chamailler avec eux. Il faut aussi avouer une chose : nous avons un contrat d’artiste, et ça lie davantage l’artiste et la maison de disques que si c’était une licence, par exemple.
Olivier : Et la complexité sur la réalisation, comme je disais tout à l’heure, c’est que dans le cercle proche – notre maison de disques, le management, notre booking et le responsable du Facebook – ce sont tous des fans absolus. Il fallait donc absolument leur plaire à eux, c’était déjà une première étape pour gagner la suite des événements. Ça donnait à tout le groupe une vraie pression mais en même temps, un vrai but à atteindre. C’est comme un club d’écoute qui s’est fait au fur et à mesure de la fin des maquettes jusqu’à la réalisation de l’album. C’est quand même une passion commune, en dehors du business.
Et en tant que maison de disques, j’imagine qu’ils ont un flair auquel vous faites confiance…Notre responsable de la maison de disques, Mehdi que tu connais, a été brillant. Sa vision a été brillante, car je pense qu’il fallait absolument utiliser l’ancien répertoire pour préparer le nouveau, ce qui a été le cas avec les deux nouveaux morceaux et la nouvelle équipe qui a fait sonner les morceaux de manière différente. Le choc aurait été différent si nous avions pondu douze nouveaux morceaux tout de suite. Et le fait de bosser sur l’ancien répertoire nous a permis de bien comprendre comment il fallait que le nouveau soit fait.
Les deux albums des années 80 étaient sortis en deux versions, française et anglaise. Dans Phoenix, vous avez opté pour les versions françaises. Est-ce que vous considérez les versions anglaises seulement comme une opération pour toucher le public anglo-saxon ?Zouille : Oui, c’est une erreur qui a été faite par l’équipe de l’époque qui voulait absolument toucher le marché international et nous nous sommes plantés. Je ne sais pas si tu as écouté les versions anglaises, mais c’est ridiculement naze. Il faut rester avec nos sources francophones et c’est ce qui plaît. C’est ce dont nous nous sommes aperçus quand nous sommes allés jouer dans les pays comme la Suède ou la Grèce, où des gens chantaient les textes, même si c’était phonétiquement. Ça n’avait pas l’air de les gêner d’avoir des textes en français. Là-dessus, nous nous sommes un petit peu fourvoyés en disant que nous allions toucher le marché international et que nous allions en vendre partout. En fait, à l’international, nous avons vendu beaucoup plus d’albums en français qu’en anglais.
Le dernier album de Sortilège, Larmes De Héros, date de 1986 soit il y a trente-cinq ans. A l’époque le monde était très différent. Quel est ton regard, avec le recul, sur les textes que tu as écrits dans le temps ? Y vois-tu toujours une pertinence dans le monde de 2021 ?Absolument. Je pense que ce sont des textes intemporels, puisque quand j’écris un texte, j’évite de parler de choses sociales ou de la vie actuelle. Il y a un second et un troisième degré dans mes textes. Il y a des métaphores, évidemment, mais c’est parfaitement d’actualité car c’est intemporel. Quand les choses sont intemporelles, tu peux les placer à n’importe quel moment d’une vie, que ce soit il y a trente-cinq ans, soixante ans, mille ans, aujourd’hui. De toute façon, l’histoire se répète en permanence, donc ça ne change pas grand-chose.
Sortilège a fait partie d’une scène française metal forte dans les 80, avec Attentat Rock, Satan Joker, Vulcain, etc. Quel est ton regard sur la scène française en 2021 par rapport à celle des années 80 ?Honnêtement, je n’écoute pas beaucoup la scène metal française. Par exemple, ce que j’entends comme groupe, comme Gojira… Bon, le problème est qu’ils ne chantent pas en français. Donc je n’ai pas vraiment de recul. Je ne peux pas te dire, je ne connais pas trop de groupes français qui chantent en français – je parle de la nouvelle génération, pas de l’ancienne, car évidemment il y a les anciens qui continuent de tourner et de faire des choses. C’est très bien, il faut qu’il y ait une scène française, car malheureusement, les groupes ont du talent et tu vois qu’ils chantent en anglais… Moi, ça me fait un peu chier d’entendre des gens comme Gojira chanter en anglais. J’aimerais bien que ça chante un peu en français. Il y a des groupes comme Mass Hysteria qui chantent en français, c’est top, mais je trouve que les groupes cherchent le marché international plutôt que le marché français et ça me désole un peu. Mais bon, on les comprend. Il y a tellement plus d’ouverture à l’international qu’en France, c’est compréhensible.
Tu penses que c’est un choix marketing et pas un choix artistique de leur part de chanter en anglais ?Il faudrait leur poser la question, je ne sais pas. Je ne saurais pas répondre à ça. Car je ne vois pas pourquoi on ne chanterait pas en français… Ce qui est vrai, c’est que c’est très difficile de faire sonner une chanson en français, parce que soit c’est de la variété, soit ça n’a pas de sens.
Olivier : Ce que tu dis est vrai. L’anglais a priori est plus musical, c’est sûr, mais quand on a la chance d’avoir une capacité comme toi à faire du texte français qui transperce la musique, on s’en sert et c’est très rare, c’est très difficile. Le chant en français, ce n’est pas musical, donc il faut avoir beaucoup de talent au départ et arriver à faire la musique qui va avec, ce qui était le cas de Sortilège, mais c’est quand même très rare. Si tu considères les quarante années de hard rock et de metal, il n’y a pas beaucoup de disques qui sortent du lot en français. Il y a aussi que la voix d’un chanteur en français, on va la mixer différemment de la voix d’un chanteur en anglais. On ne peut pas mettre au même niveau. C’est bien la difficulté qu’a eue Sortilège à l’époque en faisant un copier-coller du français vers l’anglais, en dehors du fait que Christian n’était pas vraiment anglophone. C’est une autre approche complète de la production. Warning, par exemple, a fait deux albums : un en français qui était du hard rock et après ils sont partis faire une production en Allemagne avec le producteur de Scorpions. La voix du premier album, on entend les textes, et la voix du deuxième album, on ne comprend rien, parce que l’Allemand n’a pas su comprendre comment il fallait qu’il mixe la musique par rapport à la voix. Il a mixé cette voix comme une voix anglo-saxonne au milieu de la musique. Du coup, les textes sont inintelligibles. En anglais, la voix est plus un instrument qu’en français.
Quel est le public de Sortilège aujourd’hui ?Zouille : Le public de Sortilège est très varié. Il y a des anciens qui ont entre cinquante et soixante ans et des jeunes – et même des très jeunes. J’ai vu sur scène, notamment en Grèce, des enfants de huit à dix ans. J’ai vu des jeunes de vingt à vingt-cinq ans emmenés par leurs parents. Il y a plein de publics. Il n’y a plus de catégorie d’âge maintenant, tout est mélangé. C’est ce qui est intéressant.
La crise sanitaire vous a pas mal freinés sur le plan du live. La tournée européenne est maintenant prévue pour mars 2022. Dans quel état d’esprit êtes-vous par rapport à ça ?Nous sommes extrêmement désireux de jouer. Notre vie, c’est de jouer sur scène, donc nous avons vraiment envie d’y aller. Nous sommes chauds bouillants. Surtout que ça fait un an et demi que nous sommes chauds bouillants, donc là c’est encore pire. D’un autre côté, il y a toujours l’inquiétude de savoir si on va nous faire chier avec le pass sanitaire, s’il ne va pas y avoir un nouveau variant, si nous allons pouvoir rejouer, dans quelles conditions, etc. Mais quand même, je suis plutôt optimiste, parce qu’apparemment, le virus est un être vivant intelligent et son rôle est de vivre, donc pour vivre il ne peut pas tuer son hôte. Il a besoin d’avoir un hôte, et pour qu’il y ait des hôtes, il ne faut pas qu’il soit mortel, donc il va faire en sorte d’être très contagieux mais beaucoup moins mortel. Ça va donc finir par devenir une grippe normale. C’est ce que je pense et ce que j’ai entendu de la part d’infectiologues et autre virologues. Je pense que le virus ne va plus nous emmerder. Maintenant, il faut que le gouvernement fasse aussi ce qu’il faut pour pouvoir éradiquer ça, il n’y a pas que nous.